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l'Art des catalogues, avec Hall Smith

par Keith B. Smith

Un artiste prolifique séduit le public canadien

Hall K. Smith exécutant un portrait Hall K. Smith (1908-1987) a produit, en 40 ans et plus, des milliers de dessins qui ont été vus par des millions de Canadiens. Il fait partie de ce groupe très fermé d'artistes spécialisés dans la représentation de la figure humaine sur qui les entreprises comptaient pour illustrer les pages mode de leurs catalogues. Ses dessins et aquarelles ont enjolivé d'innombrables catalogues canadiens parus entre 1927 et 1968, notamment ceux des magasins Eaton et du fabricant Great Western Garment Company (GWG). Hélas, malgré une carrière fructueuse, Hall Smith n'a pas eu droit à la reconnaissance qu'il mérite pour avoir contribué à l'évolution à la fois de l'art et de la commercialisation au Canada.

Art et commerce, une association fructueuse

Dans la première moitié du 20e siècle, l'art commercial a joué un rôle important dans la production de catalogues capables de catalyser les ventes en magasin et par correspondance. À l'époque, l'imprimé est l'élément visuel le plus efficace pour rejoindre le vaste public canadien. L'art commercial opérait à grande échelle avant même que la télévision rejoigne le marché de masse dans les années 1950 - et bien avant l'invention de l'ordinateur personnel ou de l'internet planétaire.

Soigneusement exécutées dans les règles de l'art, les illustrations avaient pour but de présenter la marchandise de manière attrayante afin d'attirer la clientèle et d'accroître le volume des ventes. La rentabilité des détaillants et des fabricants comme GWG dépendait en grande partie de la séduction exercée par leur catalogue et de l'attrait des illustrations imaginatives visant à répondre aux besoins, aux impulsions et aux tendances de leur époque.

Dessinées et peintes avec minutie, ces illustrations étaient vues à la fois comme un outil de promotion et - malgré des opinions mitigées - comme une forme d'art. Tous les Canadiens, peu importe leur langue d'origine, pouvaient capter le message visuel. Hall Smith, pour sa part, était parfaitement conscient de son rôle de trait d'union entre le monde du commerce et celui de l'art.

L'art des catalogues chez GWG

Les fabricants de vêtements comme GWG tenaient à projeter dans leurs catalogues l'image du vêtement porté dans la vie quotidienne. Ils savaient bien que montrer des chemises sans tête ou des pantalons sans corps n'a guère de chances d'attirer le client ou de générer des ventes.

Illustration qui présente des chemises d'hommes En général, plusieurs artistes intervenaient dans la réalisation d'un dessin de mode. Même si l'exécution était collective, chaque créateur n'en gardait pas moins sa personnalité, qu'il s'agisse de reproduire une salopette en denim, une culotte d'enfant ou un pantalon de dame. La méthode exigeait essentiellement un travail d'équipe, ce qui ne veut pas dire travail à la chaîne. Le succès reposait sur un savant équilibre entre valeur artistique et mesures de productivité.

La nature du travail imposait régulièrement des pointes d'activité intense, mais Hall Smith, comme ses confrères, refusait de transiger avec ses principes pour respecter les dates limites. Son équipe de production ne manqua jamais de se montrer à la hauteur de la tâche, même s'il fallait pour cela fournir beaucoup d'heures supplémentaires. On conçoit que ces artistes aient pu envisager les heures supplémentaires comme une bienheureuse nécessité, compte tenu de leurs modestes émoluments.

Chaque artiste dans l'équipe avait sa spécialité : direction artistique, mise en page, détails des corps (têtes, mains, etc.), détails des vêtements. Les spécialistes du détail - les plus nombreux - étudiaient les caractéristiques du vêtement à représenter et les reproduisaient dans des espaces préalablement définis à la mine. Ils peaufinaient les détails en reprenant un motif, un ornement ou une texture, ou utilisaient un lavis en tons dégradés pour donner du relief aux couleurs unies. L'ordre des étapes pouvait varier en fonction de la charge de travail de chaque artiste.

Les lettreurs étaient chargés d'enjoliver les pages du catalogue, en les ornant par exemple de bordures décoratives, et de créer pour les titres des caractères typographiques qui se démarqueraient de l'ordinaire. Le logo de GWG est un bel exemple de ce travail de spécialiste.

L'attrait particulier des illustrations réalisées par Hall Smith réside dans ses personnages. Une bonne présentation et des personnages séduisants commençaient par attirer l'oeil du lecteur sur la page pour que son attention aille ensuite se fixer sur un vêtement en particulier.

Le pouvoir de l'imagination

Illustration qui présente des vêtements de garçons À la différence des vêtements masculins, la reproduction fidèle d'une tenue féminine chic et recherchée exigeait souvent la pose d'un modèle vivant. Pour ce qui est des vêtements d'enfants, ce n'est qu'à la fin des années 1960, quand la photographie commerciale envahira l'univers de la mode, qu'on songera à recourir à des modèles vivants. En fait, réussir à faire prendre à un jeune enfant en studio l'expression ou l'attitude souhaitée n'était pas une mince tâche pour un photographe, sans compter la présence obligatoire d'un parent ou d'un tuteur.

L'absence d'un modèle enfantin n'a cependant jamais posé de problème aux artistes de talent comme Hall Smith. Il suffisait qu'un client lui fournisse les détails d'un vêtement devant, par exemple, être porté par un garçonnet de cinq ans dans une situation donnée, pour que Smith réagisse avec efficacité. L'absence d'un modèle ne l'a jamais empêché de créer avec brio des illustrations tout à fait naturelles, auxquelles il apportait son expérience et son imagination conjuguées - toujours en respectant les informations du client.

Illustration qui présente la marque Cowboy King Hall Smith a créé de remarquables personnages de toutes races, de tous âges et de tous genres. Il alla jusqu'à reproduire des chevaux pour illustrer le style pionnier de l'Ouest canadien. Et pour insuffler une personnalité à des illustrations qui auraient autrement paru inertes, il animait les visages de ses personnages de différentes expressions. Son imagination était sans limites.

Le soin du détail

Réputé parmi ses confrères pour son soin du détail, Hall Smith reçoit le surnom de Sherlock Holmes. Il se sert en effet d'une grosse loupe pour peindre les traits les plus fins du visage, allant jusqu'à dessiner la pupille des yeux et l'image qu'elle reflète, cela dans des visages qui ne mesurent pas deux centimètres et demi de hauteur.

La page de catalogue est généralement reproduite à la moitié des dimensions de l'oeuvre originale. Cette réduction de l'image permet à l'artiste de créer des détails plus subtils que s'il lui fallait réaliser le dessin à l'échelle. La réduction est effectuée au moyen d'un banc de reproduction qui occupe la presque totalité d'une pièce, à la première étape de la photogravure (celle du film) pour l'impression du catalogue.

Toutes les illustrations des catalogues sont dessinées et peintes sur du carton d'une épaisseur de trois millimètres appelé carton à dessin. Les artistes utilisent généralement un carton Whatman de première qualité qui se prête aussi bien au crayon qu'à l'encre de Chine indélébile et au lavis. Il faut que le carton soit bien robuste pour résister aux nombreuses étapes de la manipulation et au roulage.

Hall K. Smith au travail Hall Smith dessine ses personnages en combinant divers procédés qui vont des crayons à mine tendre à des pinceaux ronds à poil de martre de marque Peerless, en passant par les plumes en métal et l'encre de Chine. Il lui arrive souvent d'appliquer de l'encre fluorescente blanche sur ses lavis pour y créer des reflets, par exemple dans les cheveux.

Les conditions d'éclairage dans lesquelles travaillent Hall Smith et ses associés ne sont pas toujours égales : elles vont de la lumière du jour directe aux plafonniers de 200 watts en passant par les tubes fluorescents. Un éclairage déficient et des locaux mal tempérés n'ont pas empêché Hall Smith de produire ses personnages tant admirés pendant quarante et un ans.

Un artiste de tête

Devant ses amis et associés, Hall Smith se qualifiait à la blague comme un artiste « de tête », suggérant ainsi qu'il avait un certain ascendant. Un sourire en coin, il ajoutait aussitôt pour se justifier qu'il ne dessinait que des têtes de personnages... et autres parties exposées de leur anatomie !

Il a très bien pu, en effet, avoir de l'ascendant, car son travail se démarquait et il avait su gagner le respect de ses pairs. Une bonne formation, des dizaines d'années d'expérience, de l'enthousiasme et un talent naturel - voilà qui le servait bien.

Les influences artistiques

Né et à Calgary, où il a passé toute son enfance, Smith s'est passionné très jeune pour le dessin. Peu après avoir déménagé à Winnipeg, il s'inscrit à l'École des beaux-arts en 1923 où il retourne à plusieurs reprises pendant 12 ans pour suivre des cours de niveau avancé, même une fois bien installé comme artiste de mode.

Aux Beaux-arts à Winnipeg, on retrouve parmi les professeurs F.H. Johnston, membre du Groupe des Sept, et le célèbre peintre canadien L.L. Fitzgerald. Beaucoup d'étudiants inscrits aux mêmes sessions que Hall Smith travaillent également à ses côtés comme artistes commerciaux. Certains d'entre eux se forgeront une place dans l'histoire canadienne de l'art. On imagine qu'ils devaient s'échanger les styles et les techniques puisqu'ils travaillaient et étudiaient ensemble.

Une seconde carrière

Dessein par Hall K. Smith Longtemps à l'emploi de Brigdens of Winnipeg Limited, Smith n'en diversifie pas moins ses activités en poursuivant une seconde carrière d'artiste indépendant, créant régulièrement des oeuvres pour deux imprimeurs et spécialistes en arts graphiques de Winnipeg, Stovel Company Limited et Bullman Brothers.

Ses personnages et ses dessins d'événements font la couverture de dizaines de magazines comme National Home Monthly dans les années 1930 et 1940. Hall illustre également des récits dans une foule de livres et de revues. Plusieurs sociétés canadiennes et collectionneurs privés lui commandent des portraits au pastel (souvent de jolies femmes en vogue), dont beaucoup ont été exposés.

Une reconnaissance qui tarde

Contrairement à l'usage répandu dans l'industrie de la télévision et du cinéma, il n'y a jamais eu de génériques pour reconnaître la contribution des artistes commerciaux chargés d'illustrer les catalogues.

Des milliers de dessins imprimés, qui représentent des années de travail de la part de Hall Smith et son immense contribution à l'art des catalogues, sont aujourd'hui relégués aux collections d'archives dans les musées, universités et bibliothèques. Il faut espérer que la sensibilisation du public fasse un jour ressortir l'importance de la contribution de cet artiste à l'évolution de l'art et de la commercialisation au Canada.

Lectures recommandées

Baker, Marilyn. The Winnipeg School of Art: The Early Years. Publié pour Gallery 1.1.1./School of Art. Winnipeg, University of Manitoba Press, 1984.

Davis, Angela E. Art and Work: A Social History of Labour in the Canadian Graphic Arts Industry to the 1940s. McGill-Queen's University Press, 1995.

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