Marketing

GWG et le marché canadien-français

par Lucie Bettez

Illustration de catalogue Il faut attendre les années 1960 pour que GWG, soucieuse d'élargir sa distribution au Canada, commence à offrir ses produits en français. Les catalogues de l'entreprise comportent une description bilingue à partir de 1965.

Dans les années 1970 et 1980, les jeans GWG sont les vêtements de base de toute une génération de Canadiens français. Non seulement sont-ils vendus à prix raisonnable, mais le style et le confort des jeans délavés sont très appréciés. La marque « Scrubbies » est particulièrement populaire. Don Freeland, créateur des Scrubbies pour GWG, se souvient d'une commande de 900 jeans chez Eaton à Montréal : « Elle a été déballée un vendredi et placée sur les rayons. Le samedi, il ne restait plus un seul jean. Les jeunes là-bas se damneraient pour la mode. »

GWG met aussi en marché plusieurs marques à résonance française, dont « Cachet Cadet » (1979), « Femme Fit » (1980), « Poupounette » (1980) et « Pionnier » (1980).

Publicité GWG GWG utilise essentiellement deux stratégies publicitaires. La première repose sur les journaux ou circulaires des grands magasins tels que Woolworth, Zellers, La Baie ou Bonimart qui annoncent les produits GWG pendant les soldes de printemps, pour la rentrée scolaire de septembre et au temps des Fêtes. Dans ce cas, GWG ne décide ni quand, ni quoi, ni à quel prix annoncer. Les magasins choisissent les produits qu'ils veulent vendre et les maquettes de publicité. À notre connaissance, la première publicité des produits GWG dans un journal de langue française remonte à 1976.

La seconde stratégie s'appuie sur des annonces expressément conçues pour GWG qui paraissent dans des revues ou sont diffusées à la radio et à la télévision. Bien que GWG se soit annoncée dans les autobus en anglais, aucune réclame du genre n'a été retrouvée en français. Les publicités diffusées dans les médias francophones sont en gros les mêmes que celles des médias anglophones, et toutes ciblent une clientèle précise. GWG adapte son message pour permettre à chacun de s'identifier aux personnages de ses annonces.

Publicité pour Woolworth GWG utilise largement la presse écrite anglophone jusqu'aux années 1970. Les revues prouvent leur efficacité publicitaire : souvent conservées pour référence, elles passent de mains en mains et se retrouvent dans les salles d'attente du dentiste ou du médecin, ce qui prolonge la visibilité des annonces. Néanmoins du côté francophone, parmi les centaines de pages de revues masculines et féminines soigneusement épluchées, seulement quatre publicités pour GWG ont été repérées dans Châtelaine - seule revue de mode féminine largement distribuée au Québec jusqu'aux années 1980 - et l'une d'elles est celle d'un détaillant. GWG annonce ses Scrubbies pour hommes dans Châtelaine, sachant que les femmes achètent souvent pour leurs fils et leurs maris. L'absence de publicité pour GWG dans les revues masculines à partir des années 1980, malgré l'intérêt croissant des messieurs pour la mode, souligne l'hiatus apparent entre GWG et la nouvelle génération d'acheteurs.

Publicité pour GWG filles Publicité GWGeans Publicité pour Femme fit Les trois autres publicités de Châtelaine visent les fillettes et les femmes de tous âges. La première date d'avril 1980 et vise les filles de 7 à 12 ans ; la deuxième, en septembre 1980, cible les adolescentes de 13 à 16 ans ; la troisième (avril 1981) s'adresse aux femmes. Les deux premières mentionnent en passant d'autres vêtements fabriqués par GWG. L'annonce du jean « Va-et-Vient » (Femme Fit) est intéressante, car elle présente un dessin - et non une photo - de deux femmes dans la fin de la vingtaine, début trentaine. Elle insiste sur la capacité de ce jean à s'ajuster au corps et sur son allure mode, et se démarque nettement des autres publicités dans la mesure où les annonces dessinées sont rares dans les revues féminines de l'époque. Au même moment, GWG s'est taillé une position très enviable dans le marché en annonçant des produits de toutes sortes pour tous les groupes d'âge.

GWG utilise la même agence de publicité pour s'annoncer en anglais et en français. Sa première campagne télévisée de jeans à l'échelle nationale remonte à 1972 et lui vaut d'occuper une place stratégique dans ce marché. Les annonces sont tout bonnement traduites de l'anglais au français à Montréal, et les comédiens francophones se rendent à Toronto enregistrer les versions françaises - que ce soit pour la radio ou la télévision. Ces versions sont naturellement adaptées au langage courant.

La première annonce GWG créée en français serait celle des Scrubbies en 1973. Il s'agit d'une adaptation de Paul de Grandmont, produite par Josée Larivière pour Baker Lovick (Montréal). Sur un fond musical pouvant varier d'une station de radio à l'autre, elle raconte la triste histoire d'un amoureux empêché d'aller voir sa bien-aimée parce qu'il met trop de temps à donner un aspect usé et délavé à son nouveau jean. Bien sûr, dorénavant il achètera les Scrubbies de GWG pour ne pas manquer un autre rendez-vous ! Une version de cette annonce est interprétée par un chanteur country pour la clientèle rurale, une autre en boogie-woogie. Il y en a même une qui met en vedette Gilles Girard et le groupe des Classels, la coqueluche de l'heure.

Sur des airs de musique de différents genres, la réclame prône l'achat de jeans Scrubbies prélavés si l'on veut passer plus de temps avec sa blonde ou son groupe de musique qu'à laver ses jeans.

Télécharger le plugiciel flash

Sur un air de musique country, l'annonce affirme qu'on n'a plus besoin de laver et de frotter pour que les jeans aient l'air vieux et usé; tout ce qu'il reste à faire, c'est les porter et aller s'amuser. (1:02)

Lire la transcription

Télécharger le plugiciel flash

Sur un air de boogie, l'annonce que porter des jeans, c'est cool, mais qu'on n'a pas besoin, pour les adoucir, de les laver et de les frotter deux, trois fois par semaine. (1:12)

Lire la transcription

Télécharger le plugiciel flash

Sur un air yé-yé, le chanteur se plaint que les jeans qu'il faut laver et frotter l'empêchent de voir sa belle et promet d'acheter, la prochaine fois, des Scrubbies déjà délavés. (1:02)

Lire la transcription

Le principal argument de vente des annonces radio, c'est que GWG est la première entreprise à offrir des jeans délavés. Ainsi le Scrubbies devient-il une solution de rechange simple aux jeans raides et inconfortables à l'achat. GWG propose aussi des jeans à pattes d'éléphant pour hommes et femmes, des vestes, des pantalons en velours côtelé et des jupes-salopettes, mais sauf dans les revues, ces autres produits ne reçoivent pas de publicité. Les annonces à la radio et à la télévision concernent essentiellement les jeans.

La campagne publicitaire de 1973 connaît un immense succès. Les jeunes adorent le style des jeans usés et leur prix abordable. GWG présente ses nouveaux produits un à la fois, en tenant compte de l'évolution des besoins, des goûts et d'une nouvelle aisance chez les jeunes.

Logo de GWG La plupart des publicités de GWG que nous connaissons sont nées au début des années 1980. Jocelyne Benoît a traduit et adapté pour Baker Lovick (Montréal) deux annonces radio produites en anglais par cette agence pour les jeans « Odyssey » - un nom commercial déposé en 1982 et abandonné en 1986. Le style de ces annonces diffère nettement des précédentes, car elles n'utilisent aucune célébrité.

Logo de GWG Une annonce télévisée de 1980 met en scène un défilé de jeunes gens vêtus de jeans « Bum ». Bien qu'on aperçoive quelques torses, on ne voit ni les visages ni le devant des corps. La caméra insiste sur les jambes des pantalons et sur les postérieurs, le mouvement du « W » de GWG soulignant les courbes. Le choix musical de cette annonce soulève une certaine controverse chez les Canadiens anglais.

Télécharger le plugiciel flash

Publicité de 1980 pour les jeans Bum produite pour GWG par Baker Lovick (0:33)

Lire la transcription

Une fois de plus, GWG met l'accent sur ses jeans, mais elle inclut cette fois des hommes, des femmes et même un petit garçon (dans un plan). La version française a probablement été enregistrée avec des figurants anglophones. La scène étant muette, il suffisait de faire apparaître le texte français à la fin. L'annonce a été bien conçue en fonction des deux langues, car l'esprit et le message passent à la fois en anglais et en français.

Photo de Wayne Gretzky Jocelyne Benoît a aussi traduit et adapté la campagne de 1980-1981 mettant en vedette Wayne Gretzky et le slogan « J'ai grandi avec GWG ».

Le Centre d'archives publicitaires de Montréal, un fonds privé abrité par la Cinémathèque québécoise (dédiée à la préservation et à la promotion du patrimoine autant télévisé que cinématographique), conserve une annonce télévisée de 1984 de GWG qui met en scène deux étoiles montantes du Québec, Serge Dupire - qui sera l'année suivante l'acteur principal du Matou - et Marina Orsini, qui entreprend alors sa carrière comme mannequin. Bien que cette annonce ait pu être adaptée de l'anglais, le recours à de jeunes comédiens québécois reconnaissables avait pour but de séduire les Canadiens français.

Cette annonce mise sur la jeunesse des comédiens et sur l'érotisme qu'ils dégagent, tout en renouant avec une simplicité de production abandonnée depuis les annonces radio de 1973. En 1984, le marché est inondé de jeans haute couture. GWG joue ici sur la confusion des consommateurs devant cette explosion de marques de couturier et sur le temps qu'ils perdent à choisir le bon jean. Ainsi GWG s'impose-t-elle comme le choix logique pour les gens qui ont des goûts simples et n'ont pas de temps à perdre à l'achat d'un jean.

Les annonces de 1980-1981 sont bien pensées, car elles ciblent un vaste éventail d'âges, d'intérêts et de portefeuilles. Pour ce que nous en savons, l'annonce télévisée de 1984 est la dernière en français. En 1986, GWG lançait une autre grande campagne publicitaire pour son 75e anniversaire, mais il n'a pas été possible de mettre la main sur des annonces en français. Dans un article du Globe & Mail paru le 24 mai 2002, la directrice du marketing de Levi Strauss à l'époque affirme que GWG a cessé toute publicité depuis des années... Voulait-elle dire depuis la fin des années 1980 ?

Conclusion

La marque « Scrubbies » de GWG a connu un succès fou chez les Canadiens francophones au milieu des années 1970. Dans les années 1980, GWG annonçait ses jeans comme un choix facile à faire, vu la multiplication des marques de jeans. Les publicités en français de GWG connurent leur apogée dans les années 1970 et au début des années 1980. L'image de GWG est restée discrète même si l'entreprise s'annonçait à la radio, à la télévision et dans les magazines. La majorité des annonces en français ont été des traductions littérales des versions anglaises. GWG ne visait pas précisément une sensibilité franco-canadienne, mais plutôt un éventail d'intérêts, des groupes d'âge, des hommes ou des femmes.