La main-d'oeuvre

Syndicalisation du secteur de la confection à Edmonton

par Catherine C. Cole

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L'UGWA affontent la direction pendant les négociations (2:31)

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Charte de la Section locale 120 de l'UGWA Sceau de la Section locale de l'UGWA En avril 1911, trois mois après la création de la Great Western Garment Company (GWG), sept travailleurs créent la Section locale 120 des United Garment Workers of America (UGWA). Cette syndicalisation fait suite à l'incendie de la Triangle Shirtwaist Factory de New York - la pire catastrophe de l'histoire de cette ville avant celle du 11 septembre - dans laquelle 146 employés (sur 500) avaient péri parce que les issues de secours étaient restées verrouillées. L'initiative est approuvée par la direction de GWG qui veut apposer l'étiquette syndicale sur ses produits et promouvoir ainsi ses ventes auprès d'autres syndiqués.

Article de journal

La journée de huit heures

Le syndicat et la direction sont en bons termes. En 1915, le syndicat obtient un taux majoré de 50 % pour les heures supplémentaires. En 1917, la Section locale 120 devient la première section d'Amérique du Nord à négocier la journée de huit heures. Le papier à en-tête de GWG annonce : « Where the eight hour day and fair wages prevail » [Ici priment la journée de huit heures et des salaires équitables]

Papier à en-tête de GWG Les opératrices de machines à coudre de GWG travaillent moins d'heures que la plupart des autres ouvriers en Alberta. L'Edmonton Trades and Labour Council (ETLC) et l'Alberta Federation of Labour (AFL) en sont à faire pression sur le gouvernement provincial pour que celui-ci décrète la journée de 8 heures et la semaine de 40 heures. La journée de huit heures est certes une percée historique, mais comme elles sont rémunérées à la pièce, les ouvrières n'en travaillent pas moins en dehors des heures pour augmenter leur production ou assurer l'entretien de leur machine à coudre.

Publicité de revue L'usine a la réputation d'être « l'une des plus agréables du continent pour ce qui est du travailleur ». En accord avec les organisations syndicales locales et provinciales, la Section locale 120 réclame des améliorations à la législation du travail. Lors du dépôt de la Factories Act en 1917 et de la Minimum Wage Act en 1922, la Section locale 120 - par le biais d'une de ses membres qui siège à la commission du salaire minimum, Lillian Morris - exerce une influence sur les heures, les salaires et les conditions de travail des autres travailleurs de l'Alberta.

Photo des congressistes de l'AFL Les tarifs du salaire à la pièce sont négociés entre la direction et le syndicat. Les délégués de l'UGWA à Toronto ou du siège social à New York participent rarement aux réunions. Le cas échéant, l'ETLC appuie le syndicat. Les opératrices plus rapides gagnent plus (parfois beaucoup plus) que le salaire minimum. Le syndicat fixe à trois le nombre des opérations pouvant être confiées à une même ouvrière, de sorte que celle-ci puisse maîtriser ses spécialités et augmenter sa rapidité.

L'étiquette syndicale

L'étiquette syndicale prouve que les vêtements sont confectionnés en vertu d'une entente négociée et non dans un atelier de misère ou par impartition. Au début du 20e siècle, l'étiquette est très prisée par les ouvriers des autres entreprises syndiquées et les citoyens soucieux de commerce loyal. En période de négociations, il arrive que le syndicat en suspende l'utilisation jusqu'à ce que les parties parviennent à une entente. Son importance décline cependant à partir des années 1950.

Présentation des étiquettes syndicales UGWA union label

Les différends sont mineurs et généralement vite résolus. Les premières années, les plaintes sont souvent liées au temps perdu à attendre qu'on apporte le travail, à remplacer les bobines de fil ou les aiguilles brisées, à nettoyer et entretenir les machines ou à attendre que le mécanicien se présente. Les griefs sont surtout déposés par des opératrices dont les rémunérations diminuent parce qu'elles sont affectées à d'autres machines. Le syndicat vient en aide aux employées qui souhaitent travailler sur des machines plus « rentables » ou se spécialiser, et à celles qui sont licenciées sans motif valable ou sans indemnité de départ. Il fixe les tarifs appropriés lorsque de nouveaux modèles ou de nouveaux tissus sont introduits. La chaleur et la poussière sont deux préoccupations constantes, quel que soit l'âge des usines. Ainsi, bien que la nouvelle usine soit climatisée, la chaleur s'avère intense autour des presses et le syndicat négocie des pauses supplémentaires pour les ouvrières affectées à la confection des pantalons infroissables, les Nev R Press (prononcé 'Never Press').

Photo de cartable

Des militantes du droit du travail

Portrait d'Emily Ross Si les femmes représentent la majorité de la main-d'oeuvre syndiquée, les premiers dirigeants syndicaux sont surtout des hommes. Plusieurs militantes ont cependant joué un rôle de premier plan. En 1943, Emily Ross devient présidente de la Section locale 120 et organisatrice de l'UGWA pour l'ouest du Canada. Grâce à son intervention efficace auprès du gouvernement fédéral par le biais du Conseil régional du travail en temps de guerre, les salaires vont être relevés à leurs niveaux d'avant-guerre, ce qui signifie une hausse de 10 %. Elle défend l'étiquette syndicale et la solidarité entre les syndicats et négocie les salaires, les conditions de travail et les modifications au système du travail à la pièce. Durant la guerre, les ouvrières sont souvent forcées de faire des heures supplémentaires pour permettre à l'entreprise d'honorer ses contrats ; la semaine de 40 heures ne sera de retour qu'en 1946.

Photo d'un banquet

Entre la Section locale 120 et Clarence D. Jacox, directeur général de GWG de 1931 à 1941 et président de 1941 à 1958, les relations sont cordiales. Le syndicat obtient de meilleures conditions de travail, dont l'embauche d'une infirmière et d'un médecin, la construction d'une cafétéria, la mise en place d'un programme de reconnaissance des employés, des rabais, des congés payés ou encore le maintien de l'ancienneté des ouvrières qui cessent temporairement de travailler pour accoucher. Il met sur pied un plan d'hospitalisation, obtient des congés maladie et des prestations en cas de décès et organise des banquets pour les employés dont les coûts seront plus tard partagés par la direction. GWG, en adoptant systématiquement tout nouveau procédé et toute nouvelle machine qui a fait ses preuves, devient l'une des usines de confection les plus spécialisées du monde. Au fil des années, les opérations se scindent en multiples étapes et les opératrices sont si bien formées à exécuter chaque étape qu'il suffira finalement de sept minutes et demie pour produire un jean.

En 1950, à l'instar d'autres usines de confection nord-américaines, GWG commence à subir la concurrence des biens importés. Le syndicat proteste contre les vêtements bon marché que produit une main-d'oeuvre asiatique, non syndiquée, qui n'est payée que 30 cents par jour. En 1961, il propose à l'AFL une résolution visant à protéger le secteur de la confection contre les importations étrangères.

Photo des dirigeants de la Section locale 120 Annie Baranyk (devenue entre-temps Annie Broad) a grandi près d'Elk Point et déménagé en ville en 1952. Elle a été examinatrice en 1954, puis présidente de la Section locale 120 de 1956 à 1970. Elle a dû négocier les tarifs des salaires à la pièce et des salaires horaires à l'arrivée de nouvelles machines et de nouvelles lignes de produits, les indemnités et la sécurité d'emploi des employés blessés, et l'analyse des nouveaux tissus pour s'assurer que les dégagements gazeux n'étaient pas nocifs. Elle se souvient avoir entendu la première menace de fermeture au début des années 1960, le président J. Gerald Godsoe ayant affirmé que l'usine serait fermée, déménagerait en Ontario ou serait coulée par Levi Strauss & Co. si le syndicat n'acceptait pas de coopérer.

Anne Ozipko était enfant lorsqu'elle est arrivée d'Ukraine. En 1943, elle quitte l'ilot ukrainien du nord-est d'Edmonton et déménage en ville pour travailler chez GWG jusqu'en 1947, puis de nouveau de 1963 à 1978. « Personne à tout faire », elle peut effectuer n'importe quelle opération et remplacer au pied levé n'importe quelle ouvrière absente. Déléguée syndicale pour le quart de nuit, elle remplace Annie Baranyk comme présidente de la Section locale en 1970. L'un de ses principaux défis a consisté à collaborer avec les ingénieurs chargés de chronométrer les opératrices pour mettre au point de nouvelles méthodes et de nouveaux tarifs. à partir de 1986, elle représentera la partie ouvrière à la Commission de l'assurance-chômage.

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La Section locale 120 améliore les avantages et les conditions de travail (2:38)

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La fin du salaire à la pièce

Plus la main-d'oeuvre se diversifie, plus l'intégration des immigrantes à l'usine (et au syndicat) devient cruciale. S'il est exact que la traduction et la formation peuvent surmonter une barrière linguistique, il n'en demeure pas moins que les nouvelles arrivantes, issues de pays où elles n'avaient ni droits ni liberté et de cultures qui découragent les femmes de s'exprimer, sans compter qu'elles doivent consacrer du temps à s'adapter à leur nouveau pays, sont peu enclines à jouer un rôle syndical actif.

L'abandon du salaire à la pièce en faveur d'un système de quotas au début des années 1990 marque un tournant décisif pour le syndicat. GWG avait bien tenté d'introduire le salaire horaire dans les années 1940, mais les opératrices, voyant ainsi leurs revenus baisser, s'étaient opposées au changement et avaient insisté pour revenir au travail à la pièce. Pendant des années, la direction se trouva incapable de convaincre ses employés des avantages du système de quotas à cause de leur mauvaise compréhension de l'anglais. L'introduction des cours d'anglais langue seconde allait finalement permettre de régler le problème.

En 1994, l'UGWA fusionne avec l'Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce (TUAC) et la Section locale 120 se joint à l'Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce-Canada (TUAC-Canada).

Une importance historique

L'obtention de la charte créant la Section locale 120 des United Garment Workers of America à la Great Western Garment Company a été désignée « événement historique national » par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada pour souligner les concessions obtenues par le syndicat et rappeler que celui-ci a encouragé ses membres de sexe féminin à devenir des chefs de file et à lutter pour que le milieu de travail tienne compte des préoccupations des femmes.