La main-d'oeuvre

GWG et l'immigration européenne après la Seconde Guerre mondiale

par Catherine C. Cole

Les vagues d'immigration

Le Canada rouvre graduellement la porte à l'immigration à partir de 1947. De 1947 à 1952, il accueille près de 250 000 personnes déplacées ayant trouvé refuge dans les camps européens, dont la plupart s'installent en Alberta. En revanche, il refuse les citoyens allemands au cours des cinq années suivant la fin de la guerre. En 1947, en raison de l'appui de la Chine lors de la guerre contre le Japon et des prouesses réalisées par les volontaires canadiens d'origine chinoise, le Canada ouvre à nouveau ses portes aux immigrants chinois, interdits d'entrée depuis 1923. D'autres petits groupes d'immigrants arrivent également d'Asie, du Moyen-Orient et d'Amérique latine.

Après la guerre, la Hongrie tombe sous le joug communiste. En 1956-1957, la population se soulève massivement pour chasser les troupes soviétiques du pays : plus de 2500 Hongrois sont tués et 250 000 autres fuient la Hongrie. De ce chiffre, 37 500 émigrent au Canada dont 3000 à Edmonton et à Calgary. Dix ans plus tard, lors de l'invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en 1968, le Canada accueille un autre afflux de réfugiés dont la plupart sont de Prague.

La population d'Edmonton fait plus que doubler entre 1946 et 1961, passant de 113 116 habitants à 281 000. En 1962, le Canada abolit ses lois sur la discrimination raciale et accepte d'étudier toutes les demandes d'immigration présentées par des personnes non parrainées ayant les qualités requises.

À la différence des premiers immigrants, ceux qui arrivent après la guerre sont plus souvent des citadins instruits qui choisissent de s'installer dans les villes. Toutes ces personnes émigrent pour des raisons politiques, religieuses et économiques. Beaucoup ont perdu leur famille, leur maison et leur emploi pendant la guerre. À la Great Western Garment Company (GWG), certains groupes, notamment les Allemands et les Hollandais, s'assimilent rapidement et ne sont guère perçus comme des immigrants ; d'autres, dont les Ukrainiens et les Polonais ou les Italiens et les Portugais, sont parfois confondus les uns pour les autres par leurs collègues de travail.

De la campagne à la ville

Annonce publicitaire La main-d'oeuvre de GWG devient de plus en plus multiculturelle. Outre les immigrants européens, l'usine reçoit un afflux de personnes venues des régions rurales autour d'Edmonton pour s'installer en ville. Pour les enfants de familles nombreuses chez les cultivateurs, les petites villes offrent peu de perspectives en termes d'emploi, de mariage et de croissance personnelle. Née à Myrnam en 1930 d'un couple d'immigrants polonais-ukrainiens qui mit au monde quinze enfants, Mary Romanuk déménagea à Edmonton après son mariage, en 1951. « Les seuls emplois, raconte-t-elle, pour une pauvre fille de 21 ans comme moi, sans expérience, avec rien qu'une 12e année - ce qui n'était pas grand-chose, même à l'époque - on les trouvait chez GWG. GWG, c'était le seul travail possible pour moi... » Annie Baranyk (aujourd'hui Annie Broad) est née à Calgary, a grandi dans une ferme près d'Elk Point, s'est installée à Edmonton en 1952 et a commencé à travailler chez GWG en 1954. Grâce à un bon anglais et à des cours par correspondance, elle est devenue présidente du syndicat.

Souvenirs d'usine

Mary Romanuk, superviseure à l'époque, se souvient à quel point les immigrantes étaient appliquées au travail : « Italiennes, Portugaises, Hongroises, elles avaient toutes eu la vie dure et elles allaient chercher tout l'argent qu'elles pouvaient. Beaucoup essayaient de sauter le repas du midi pour travailler et se faire plus d'argent, car elles étaient payées à la pièce. Bien sûr, le syndicat disait 'non, il faut absolument arrêter à midi' .» Mary Romanuk raconte que les Européennes appréciaient tellement leur emploi qu'il a fallu que la direction de GWG leur interdise d'offrir des cadeaux de Noël aux superviseures comme elle. « Ces filles-là travaillaient fort et cherchaient peut-être une faveur quelconque. Elles m'offraient des statues, des vêtements et toutes sortes de cadeaux, de la verrerie, des bibelots, jusqu'à des grille-pain. J'ai reçu une crêpière, un gaufrier et bien d'autres choses parce qu'elles étaient tellement heureuses d'avoir un emploi, de pouvoir travailler et d'être appréciées. Donc elles étaient très aimées et faisaient du bon travail. D'ailleurs, je pense quelquefois, même si je suis peinée de le dire, que les Européennes travaillaient plus fort que les Canadiennes, qui avaient toujours eu la vie facile - du moins certaines. »

Atelier de couture de L'usine Eileen Hatch, une Canadienne d'origine qui a travaillé au bureau de 1952 à 1958, note qu'aucune immigrante ne travaillait dans le bureau, mais qu'à l'usine, c'était « la petite Allemagne ou la petite Italie, selon la nationalité de la responsable en place. »

Eileen Yeandle, infirmière à l'usine de 1956 à 1984, se rappelle que, lorsqu'elle a commencé, « les employées étaient surtout des Allemandes et des Ukrainiennes, avec quelques Italiennes. Ensuite, pendant les années où j'étais là, il y a eu ce grave soulèvement en Hongrie et on a eu beaucoup de demandes de Hongroises ». En tant qu'infirmière, elle fut pendant un temps en partie chargée de l'embauche. Elle raconte que les immigrantes venaient avec un membre de leur famille ou de leur Église qui traduisait pour elles pendant l'entretien d'embauche. Eileen faisait un examen de la vue et remplissait un questionnaire médical, puis elle interrogeait les candidates sur leur expérience de travail et leur situation familiale.

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Elizabeth Kozma décrit les difficultés à quitter la Hongrie pour Edmonton (2:00)

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Portrait d'une femme Beaucoup d'immigrants hongrois, malgré une formation professionnelle, se retrouvèrent, en arrivant, dans des emplois manuels. Ce fut le cas d'Elizabeth Kozma et son mari. Avec leurs deux jeunes enfants, ils s'enfuirent de Hongrie en décembre 1956 et se présentèrent à l'ambassade du Canada en Autriche, demandant à venir au Canada parce que le mari d'Elizabeth y avait de la famille. Ils s'estiment « très chanceux » d'avoir été admis au Canada. Arrivés à Halifax en janvier 1957, ils ont pris le train pour Edmonton où ils ont été accueillis par des parents du mari d'Elizabeth et l'un d'eux a suggéré GWG parce que « beaucoup de monde va travailler là-bas... sans parler la langue ». Elizabeth avait fréquenté l'école technique en Hongrie et occupé un emploi là-bas comme technicienne dans une usine de couture, mais une fois engagée chez GWG, elle a dû refaire ses classes comme opératrice, surpiquer des poches et fixer des ceintures. Elle a fini par être nommée superviseure et par apprécier son travail chez GWG et, plus tard, chez Levi Strauss, mais au début, elle est restée parce qu'il le fallait : « J'avais deux enfants : on avait besoin d'argent, voyez-vous ». Selon elle, il y avait beaucoup de Hongroises à l'usine à cette époque, mais peu sont restées. Comme l'explique Elizabeth avec doigté, « tout le monde n'aime pas forcément travailler dur. » Celles qui restaient s'inquiétaient pour leur famille demeurée en Hongrie et se soutenaient les unes les autres en cette époque difficile.

Janet Cardinal, une Canadienne de souche, se rappelle que lorsqu'elle a commencé à travailler à l'usine en 1962, « il y avait surtout des Européennes, et très peu de gens chez GWG parlaient anglais à l'époque ». Elle se souvient d'être restée assise dans son coin à la cafétéria, « mais finalement, après une semaine de travail, les gens voyaient que tu n'étais pas assise avec les Italiennes, les Allemandes, les Portugaises ou l'une ou l'autre des autres nationalités, en fait que tu étais toute seule. Tu n'avais personne à qui parler. Il y en a qui sont venues me dire : 'Comme ça, tu parles anglais ?' et qui se sont assises à ma table. »

Parlant des immigrantes, Janet Cardinal raconte : « Elles vivaient toutes à trois ou quatre familles dans une grande maison. La femme qui avait un bébé restait pendant un an à la maison et, au bout d'un an, une autre femme de la maison avait un bébé. Donc elles n'arrêtaient pas de travailler et de travailler, à la maison et de retour au travail. Ensuite, quand ils avaient suffisamment économisé, ils achetaient tous une maison et la femme pouvait enfin s'arrêter de travailler ».

Assunta Dotto, une immigrante italienne, retourna travailler chez GWG en 1965-1966 : « Il n'y avait pas beaucoup de filles nées au Canada. Il y avait beaucoup d'Italiennes, de Chinoises, de Vietnamiennes et de Polonaises. Comme moi vingt ans plus tôt, elles estimaient qu'elles avaient eu beaucoup de chance de trouver un emploi pour améliorer leur train de vie. »

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Hana Razga décrit le choc culturel en arrivant de Tchécoslovaquie (1:43)

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Vue intérieure de L'usine Hana Razga et son fiancé sont arrivés de Prague à Edmonton en décembre 1968. Le couple a été aidé par le gouvernement canadien au début. Il a habité au vieil hôtel King Edward jusqu'à ce qu'il trouve un logement, et Hana a été envoyée chez GWG environ une semaine après son arrivée. Un certain nombre de Tchèques travaillaient à cette époque chez GWG, mais la plupart - comme les Hongroises dix ans plus tôt - ne restaient pas très longtemps. Hana a quitté à la fin de sa période de formation, préférant être payée à la pièce plutôt qu'à l'heure. « On se serait cru à Babylone avec toutes les langues qui s'y parlaient. J'ai eu l'impression que toutes les immigrantes se retrouvaient là. Je crois que c'est parce qu'il y avait énormément de roulement. Aucune Tchèque à ma connaissance n'est restée très longtemps. Il y avait parmi elles des filles instruites et la seule raison qu'elles se sont retrouvées là, c'est qu'elles ne parlaient pas anglais. Que faire dans ces conditions ? C'est là qu'on les envoyait toutes. »

Guiseppina Tagliente a quitté l'Italie pour Edmonton en 1970. Elle est entrée chez GWG en 1980, une fois ses enfants à l'école. En Italie, elle avait travaillé dans un bureau d'avocats. Au début, elle doutait de pouvoir s'adapter à l'usine, mais petit à petit elle a commencé à s'y plaire. Elle a été embauchée pour travailler à l'emballage, mais elle s'est ensuite déplacée partout où l'on avait besoin d'elle, cousant des boucles, des étiquettes, des rivets, des boutons, des boutonnières et des boutons pression. On lui a dit qu'il y avait eu beaucoup d'Italiennes à l'usine dans les années 1960, mais elle croit avoir été la dernière à être embauchée.

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