La main-d'oeuvre

GWG et les vagues migratoires après 1967

par Catherine C. Cole

Nouvelles orientations en immigration

Entre 1923 et 1947, année où le gouvernement fédéral abrogea la Loi de l'immigration chinoise, le Canada refusait les immigrants chinois. La guerre civile qui éclate en Chine continentale après la Seconde Guerre mondiale a provoqué un afflux de réfugiés dans les îles de Taiwan et de Hong Kong sous domination britannique. Dans les années 1950, le Canada accepte un petit nombre d'entre eux en vertu de mesures qui prévoient la réunification des familles et les mariages arrangés.

Atelier de couture de L'usine Au milieu des années 1960, Edmonton est confrontée à une pénurie de main-d'oeuvre. La Great Western Garment Company (GWG) veut prendre de l'expansion, mais ne parvient pas à attirer des travailleurs étrangers aptes à travailler dans la confection. En 1967, GWG fait pression sur le gouvernement fédéral pour obtenir un allègement des exigences d'immigration - onze années de scolarité au minimum - en vue de relancer l'immigration d'Europe, d'Asie et d'Amérique centrale, d'où provient traditionnellement la main-d'oeuvre industrielle. Il est amusant de penser, puisque la demande d'alléger les exigences d'immigration visait à contrer la concurrence des importations étrangères, que la solution de GWG consiste à « importer » les travailleurs au lieu des produits manufacturés.

L'immigration chinoise augmente considérablement après 1967, année où le Canada adopte un système de points de mérite pour choisir ses immigrants. Il existe alors trois catégories d'immigrants : les personnes de la famille, les réfugiés et les requérants indépendants. Les candidats qui ont une profession peuvent soumettre eux-mêmes une demande d'immigration, et les immigrants une fois installés peuvent parrainer d'autres membres de la famille pour les faire entrer à leur suite.

La Loi de l'immigration adoptée en 1976 raffine les exigences et les définitions des catégories de la façon suivante :

  • regroupement familial : comprend la famille immédiate des citoyens ou résidents canadiens,
  • humanitaire : comprend les réfugiés qui correspondent à la description officielle des Nations Unies ainsi que les personnes persécutées ou déplacées qui s'inscrivent dans la catégorie humanitaire spéciale établie par le gouvernement,
  • indépendants : comprend les candidats qui soumettent de leur propre chef une demande d'immigrant reçu et qui sont sélectionnés selon le système de points introduit en 1967. Selon ce système, les candidats doivent accumuler plus de 50 points en fonction de critères tels que l'éducation et la formation, l'âge, les caractéristiques personnelles, la connaissance de l'anglais ou du français et les perspectives d'emploi au Canada.

Atelier de couture de L'usine En 1975, les partis communistes prennent le contrôle du Vietnam, du Laos et du Cambodge, provoquant une immense vague d'émigration de ces trois pays. Après des années de combats, les communistes du Vietnam du Nord se sont emparés du Vietnam du Sud ; la monarchie du Laos a été renversée par les forces communistes ; les Khmers rouges, menés par le tyran Pol Pot, ont pris le pouvoir au Cambodge. Beaucoup de Laotiens instruits et qualifiés fuient leur pays, menacés par la persécution, la dégradation de l'économie et, en 1977, la sécheresse. Au Cambodge, les Khmers rouges évacuent de force les grandes villes et envoient les citadins travailler à la campagne. Près du quart de la population cambodgienne (1,7 million) succombe, tandis qu'un grand nombre s'échappe au Vietnam ou en Thaïlande. En 1979, une autre vague de réfugiés fuit le Cambodge lorsque le Vietnam s'empare du pays, évince les Khmers rouges, nationalise les entreprises et détruit l'économie. Beaucoup de Vietnamiens et de Cambodgiens d'origine chinoise quittent le Cambodge dans des navires surpeuplés pour gagner la Malaisie, Singapour, l'Indonésie et Hong Kong. Les survivants sont placés dans des camps de réfugiés, puis parrainés par les gouvernements de divers pays, dont le Canada. Les émigrés de ces trois pays sont appelés les « boat people » ou réfugiés de la mer.

En 1977, le Canada met fin au traitement préférentiel qu'il accordait aux immigrants des pays du Commonwealth et adopte une politique d'immigration égalitaire. En conséquence, dans les années 1990, 73 % des immigrants canadiens appartiennent à des groupes minoritaires visibles, à comparer à 52 % dans les années 1970.

Un nombre croissant de réfugiés

Durant cette époque, les réfugiés sont parrainés par des organismes de bienfaisance et par des groupes de particuliers qui leur trouvent un logement, un emploi ou un programme d'études, et leur fournissent une aide financière pendant la première année. À Edmonton, les Services sociaux catholiques sont le premier organisme à promouvoir le parrainage privé des réfugiés et faciliter leur installation. La plupart d'entre eux trouvent des emplois dans des usines, des restaurants ou ailleurs où il n'est pas indispensable de parler anglais.

Souvenirs d'employés chinois chez GWG, de 1960 à 2004

Atelier dans L'usine Les premiers immigrants chinois sont embauchés chez GWG en 1960, au moment où GWG entreprend d'accroître sa main-d'oeuvre et sa production. Hang Sau Mah fait partie de la timide demi-douzaine de Chinois engagés en 1960. C'est son premier emploi au Canada. Elle a postulé sur les conseils de May Wong, qui donne des cours d'anglais à ses compatriotes et les aident à s'établir. Les occasions d'emploi sont rarissimes pour les immigrants chinois. « C'était mieux que de laver la vaisselle, dit-elle. Laver la vaisselle est un travail très pénible. » À titre de comparaison, les horaires sont plus intéressants chez GWG et il y a plus de congés et d'avantages sociaux. Lorsque le mari de Hang Sau, Chee Luck Mah, quitte son emploi de plongeur dans un restaurant pour aller travailler à l'usine, il est l'un des deux seuls Chinois de sexe masculin dans l'atelier de coupe, l'autre étant Philip Wong. Après avoir été affecté au déroulage de tissu, Chee Luck Mah devient coupeur ; il restera à l'usine jusqu'à ce que le couple prenne sa retraite, en 1999.

Lorsque Lee Kam est engagée chez GWG, en 1962, une trentaine d'ouvriers chinois travaillent déjà à l'usine. Le pasteur Chow, qui lui enseigne l'anglais, l'accompagne à l'entrevue et facilite son adaptation à Edmonton. À l'époque, il n'y a pas encore de Chinoises parmi les superviseures et toutes les communications se font en anglais. Lee Kam se rappelle qu'il y avait beaucoup d'Italiennes : « On ne parlait pas vraiment anglais, mais je me servais de mes mains, on riait et on parlait comme ça ». Elle est restée à l'usine jusqu'en 1970.

Arrivée de Hong-Kong en 1963, Sum Yuk Wong est entrée chez GWG « parce qu'il fallait bien gagner sa vie. Pour que mon mari et ma fille puissent venir au Canada, je devais gagner de l'argent. Au début, je ne savais pas grand-chose, alors je suis allée apprendre là-bas. L'usine était vraiment bien, on nous apprenait en arrivant ce qu'il fallait savoir ; ce n'était pas nécessaire d'avoir de l'expérience. » Devenue contrôleuse, elle y restera jusqu'en 2002. Pendant toutes ces années, elle n'aura pris qu'un seul congé : pour la naissance de sa seconde fille. Elle apprécie le fait d'avoir des horaires réguliers et ses fins de semaine libres. Son mari, Tommy Wong, était comptable à Hong Kong. À son arrivée en 1969, il fait une demande d'emploi chez GWG, car il ne possède pas l'anglais. Selon lui, « on n'avait pas d'autre choix, en arrivant, que de s'abaisser ». Au début, il trouve l'emploi très dur parce qu'il n'est pas habitué au travail physique. « On m'a demandé de commencer le jour même de l'entrevue. » À cette époque, cinq des trente ouvriers de l'atelier de coupe sont chinois. Tommy Wong se rappelle avoir par la suite visité des usines de Levi Strauss en Ontario. « Là-bas, dit-il, c'était presque tous des Canadiens d'origine. Avec les blancs, c'était complètement différent : ça travaillait vraiment, vraiment lentement. Nous, les nouveaux immigrants, nous étions habitués à travailler très vite. »

Lorsqu'elle quitte Saskatoon pour s'installer à Edmonton en 1969, après avoir émigré de Hong Kong, Jo-Anne Mack commence par travailler chez GWG. « À l'époque, j'avais fait une demande pour faire venir mes parents comme immigrants. Mes parents ont eu l'impression - mon frère et ma soeur plus jeunes devaient aussi venir - que la ville de Saskatoon serait trop petite. Ils n'aimaient pas l'idée d'y habiter. Aussi parce qu'il y a beaucoup de Mah à Edmonton - c'est le nom de famille de mes parents -, c'est ici qu'ils voulaient venir. Donc, on s'est tous installés ici. » Après cinq ans comme opératrice, Jo-Anne devient instructrice et, dix ans plus tard, superviseure. L'usine fermera ses portes vingt ans plus tard. Entre-temps, grâce à son travail à l'usine, Jo-Anne aura réussi à envoyer ses trois enfants à l'université. En 1973, c'est au tour de Julie Mah d'être embauchée chez GWG par l'intermédiaire de Jo-Anne Mack. Elle y travaille quelques années avant de quitter pour une usine plus petite parce qu'il n'y a plus assez de travail chez GWG. Elle retournera chez GWG douze ans plus tard et y restera jusqu'à la fermeture de l'usine, en 2004. Elle estime que le travail y était plus stressant que dans la petite usine, mais les avantages nettement supérieurs.

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Virginia Mah décrit son voyage de Hong-Kong pour rencontrer son fiancé (1:22)

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En 1970, Virginia Mah quitte Hong Kong pour épouser au Canada un homme qui s'est présenté à ses parents par correspondance quelques mois plus tôt. Le couple se marie au début d'août et Virginia entre chez GWG début septembre. Comme elle faisait vivre ses parents à Hong Kong en travaillant dans une usine, elle doit trouver se trouver très vite un emploi pour envoyer de l'argent là-bas. « Mon beau-père m'a dit 'o.k. je t'emmène chez GWG. Ils embauchent des opératrices de machine à coudre. Je t'emmène et tu feras une demande d'emploi'. Alors mon beau-père est venu chez GWG avec moi en autobus. Là-bas, on m'a fait tout de suite passer une entrevue et on m'a dit que je pouvais commencer à travailler. » Virginia fera venir son frère plus tard au Canada. En 1973, elle est promue instructrice, mais comme les opératrices sont mieux payées, elle retourne à sa machine jusqu'à ce que la paie et les avantages des instructeurs s'améliorent. Elle apprend l'anglais en suivant des cours du soir, parce qu'elle veut pouvoir traduire et faire de la formation. Elle sera promue responsable de la formation en 1980.

Atelier dans L'usine Dans les années 1980, à Edmonton, GWG emploiera une main-d'oeuvre surtout asiatique. Suet Lee commence à travailler là-bas en 1979. Institutrice de maternelle à Hong Kong, elle n'a pas les qualifications requises pour faire le même travail au Canada. Lorsqu'elle compare sa situation à celle qui était la sienne comme enseignante, elle a l'impression d'être devenue une citoyenne de seconde classe - mais elle n'a pas le choix de travailler en usine, à cause de la barrière linguistique. Le nom de GWG circulait beaucoup dans la communauté chinoise : « Je connaissais GWG de nom. On disait que cette usine était très connue et que le travail y était vraiment dur. Je n'avais pas le courage de me présenter là-bas pour travailler. » Deux ans et la naissance d'un deuxième enfant plus tard, elle entend dire qu'il y a un quart de nuit chez GWG. Le fait de travailler la nuit va lui permettre de passer ses journées avec les enfants. Elle aime aussi travailler de nuit parce que tout est calme. Quand ce quart est supprimé quelques années plus tard, GWG lui offre de travailler de jour, mais elle refuse parce que ses enfants fréquentent l'école primaire et qu'elle tient à être à la maison pour eux. Elle finira par y retourner lorsque son aîné sera en dixième année.

Zi Hau Hu entre chez GWG en 1989. L'effectif se compose alors surtout d'immigrants venus de Chine, du Vietnam et du Sud-Est asiatique. Il est l'un des rares hommes à travailler dans l'atelier de couture où il fixe des ceintures. Il obtient plus tard un emploi dans l'atelier de coupe, d'abord comme étendeur, puis comme coupeur. Ayant du mal à apprendre l'anglais, il a l'impression d'être victime de discrimination parce que GWG ne lui accorde pas la promotion qu'il attend. Il sera finalement promu sur la base de ses années d'ancienneté.

Souvenirs d'employées vietnamiennes

Arrivée avec la première vague d'immigrants vietnamiens accueillis au Canada, la belle-famille de Susan Bui s'était établie à Edmonton en 1975. Mariée jeune et sachant que son mari a de la famille au Canada, elle n'a eu qu'une hâte : quitter à son tour le Vietnam. Le couple débarque à Edmonton en mars 1985 et Susan commence à travailler avec sa belle-mère chez GWG en mai de la même année. L'usine emploie alors une vingtaine de Vietnamiens. Susan ne parle pas anglais, mais elle sait coudre et réussit le test d'embauche. Elle est opératrice et travaille « aux ceintures » avant d'avoir son deuxième enfant et de travailler « aux piqûres rabattues ». Deux ans plus tard, elle commence à mettre de l'argent de côté pour faire venir sa propre famille au Canada. Deux enfants de moins de deux ans ne les empêchent pas, son mari et elle, de prendre chacun un second emploi et de mettre suffisamment d'argent de côté pour faire venir neuf personnes au Canada : 10 000 $ pour les billets d'avion, plus de quoi faire vivre la famille à son arrivée. Susan fera ensuite entrer deux soeurs et un frère à l'usine. Elle finit par apprendre le chinois avec ses collègues de travail et l'anglais grâce aux cours pour immigrants.

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Kim Ngo décrit sa tristesse de quitter le Vietnam (1:16)

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Professeure au Vietnam, Kim Ngo, de même que sa famille, ont souffert sous le joug communiste. En 1987, elle implore ses parents de la laisser partir vivre dans un autre pays. « L'idée ne leur plaisait pas vraiment, mais ils ont fini par l'accepter. J'ai donc trouvé des amis et des parents qui essayaient de fuir eux aussi. Nous étions ensemble dans le bateau, cinquante-neuf personnes en tout. Ce fut très difficile. » Elle fait une demande de statut de réfugiée à partir d'Indonésie et aboutit au Canada d'abord à Yorkton, puis à Winnipeg, avant d'emménager à Edmonton et de travailler à l'usine à partir de 1992. Elle aussi a occupé deux emplois, travaillé sept jours par semaine et parrainé ses parents et sa soeur pour qu'ils puissent immigrer au Canada. Au début, elle trouvait le travail physiquement exigeant et ne comptait pas rester longtemps. Elle a mieux apprécié son emploi quand elle s'est fait des amies et surtout lorsqu'elle a été promue instructrice quatre ou cinq ans plus tard. Kim se souvient d'une vingtaine d'immigrantes vietnamiennes. La plupart étaient d'origine chinoise. Certaines ne parlaient pas anglais en arrivant à l'usine, alors elle a dû apprendre le chinois pour communiquer avec les nouvelles personnes embauchées. Il y avait aussi quelques Philippinnes et plusieurs Laotiennes.

Immigrantes d'Asie du Sud

Atelier de couture de L'usine Aujourd'hui, la deuxième minorité visible d'Edmonton est la population sud-asiatique qui compte 38 225 personnes. Native de l'Inde, Kulminder Bolina a passé par l'Angleterre pour rejoindre le Canada en 1973. Malgré un baccalauréat en sciences de l'Université du Punjab, elle ne réussit pas à trouver un travail dans sa spécialité. Sa belle-soeur, qui travaille à l'usine, l'incite à postuler un emploi pour contribuer au ménage des beaux-parents. À cette époque, il y a déjà là quelques Indiennes ainsi que des Indo-Trinidadiennes et des Indo-Fidjiennes. Kulminder travaille d'abord « aux boutons et aux boutonnières », mais elle apprend quelques opérations, est promue instructrice et, plus tard, superviseure. Elle travaillera à l'usine jusqu'à sa fermeture. Entre-temps, elle accepte des quarts de nuit lorsque ses enfants sont jeunes pour partager les tâches avec son mari. Son frère et sa femme, qui vivent dans la maison voisine, leur donnent un coup de main entre les quarts.

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Conseil de Sadat Khan à ceux qui viennent d'Inde (0:53)

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Atelier de couture de L'usine Sadat Khan arrive à Edmonton en 1977 avec sa belle-mère et ses quatre enfants pour rejoindre son mari et d'autres membres de la famille qui les ont précédées. Élevée avec des domestiques, elle fait face à de sérieux ajustements. Trois mois après son arrivée, elle commence à travailler comme presseuse à l'usine où travaille déjà sa belle-soeur. « Le premier jour, j'ai porté mon sari pour aller travailler. Mais Kulminder m'a dit, 'tu ne devrais pas porter ce sari parce que c'est très dangereux'. Alors je suis allée acheter un pantalon, une chemise et, parce que je me couvrais à cette époque, j'ai pris mon écharpe avec moi. » Sadat travaille bientôt de nuit pour pouvoir rester avec ses jeunes enfants pendant la journée. À la fermeture du centre de finition d'Edmonton, elle est nommée inspectrice et finira par occuper un poste au contrôle de la qualité.

Quand Meena Jassal arrive à Edmonton en 1981, sa soeur qui travaille déjà à l'usine l'emmène aussitôt faire une demande d'emploi. « Ils étaient très occupés là-bas, ils engageaient du monde. Ce qui fait que j'ai commencé à travailler à peine quatorze jours après être arrivée au Canada. »

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